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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 18:45

Pour Roland Barthes, l’écriture se distingue nettement de la langue, ce bien commun de tous les humains qui la partagent dans chaque zone linguistique, au sens large. Que chacun en use comme il l’entend, la langue est présente comme une atmosphère, une substance invisible dans laquelle on puise sans s’en rendre compte.

Le véritable instrument de l’écrivain en revanche, c’est l’écriture qu’il va développer et modeler selon sa manière, qui est elle-même distincte du style, lequel pourrait être qualifié de supplément d’âme né de la pratique de l’écriture. Il existe d’ailleurs pour Barthes des écrivains sans style, comme André Gide, Maupassant, Zola ou Daudet.

La différenciation des écritures a été accentuée par les accidents de l’Histoire, qui ont vu les humains contester les formes de vie en usage précédemment. Roland Barthes cite la période révolutionnaire où l’écriture, comme la parole, se devait d’être emphatique. A l’inverse, le marxisme a imposé un langage à vocation scientifique, propre à développer la connaissance et former un référent stable. Ultérieurement, le stalinisme a brouillé ce schéma pour opposer le véritable révolutionnaire au « contre-révolutionnaire » dans un contexte de procès permanent.

En littérature, l’infléchissement majeur dans l’espace francophone a eu lieu au XIXème siècle, lorsque des écrivains, sous l’impulsion de Flaubert, ont considéré que l’écriture devait être un travail. Flaubert a initié cette tendance en soumettant ses phrases au « gueuloir ». La rédaction devait nécessairement être longue, laborieuse et remise sur le métier à de multiples reprises. Le résultat devait aboutir à cette forme de perfection qu’affectionnait Flaubert.

Barthes pointe les caractéristiques artificielles des différents types d’écritures : ainsi pour l’écriture romanesque, l’usage courant du passé simple et du « il » de la narration, qui servent à caractériser le genre par ces choix arbitraires. Quant à l’écriture poétique, depuis Rimbaud, elle a été totalement déstructurée, ce qui la rend totalement autonome par rapport à tous les autres types d’écriture.

Ce que Barthes finalement cherche à démontrer, c’est que toute cette évolution de l’écriture, après le rejet des modèles du passé, n’a d’autre possibilité que d’aboutir à l’écriture la plus neutre qui puisse être, abandonnant l’éclat du style à la Victor Hugo ou l’écoulement inexorable de la phrase longue à la Marcel Proust. Cette progression, à l’époque où il rédigea son ouvrage, avait atteint ce qu’il appela «le degré zéro de l’écriture », par la rédaction, la plus impersonnelle possible, de L’Etranger de Camus.   

Depuis la publication de l’essai de Roland Barthes au début des années 1950, les formes d’écriture se sont encore diversifiées, atteignant des niveaux de recherche sans doute inimaginables auparavant, comme par exemple l’écriture de Claude Simon qui, au fil des publications, évolua vers un écart de plus en plus accentué des formes traditionnelles. L’éclatement des modes d’écriture selon la sensibilité des écrivains semble aujourd’hui n’avoir aucune limite, ce qui rend la production littéraire totalement inclassable en fonction des critères du passé.

Ce qui est remarquable dans ce tableau en morceaux, c’est que de grandes œuvres continuent d’apparaître, selon des modes nouveaux ou traditionnels.


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