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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 13:05

Le système colonial a souvent provoqué chez ses promoteurs une psychose de la rébellion des peuples colonisés. Le pouvoir colonial traquait inlassablement les mouvements séditieux et les combattait avec une brutalité incontrôlée. La paranoïa qui sévissait à sa tête tendait à gagner le corps entier dans des répressions d’actes jugés hostiles, même à l’encontre des populations les plus paisibles. Ces campagnes ont trop souvent débouché sur des massacres qui rendaient la coexistence avec les peuples conquis impossible à soutenir durablement. De telles mobilisations guerrières n’ont pas eu lieu de façon permanente, mais la surveillance et la répression maintenaient le système colonial et, quand la citadelle se sentait assiégée, elle répondait à « l’agresseur » avec une violence disproportionnée. J.M. Coetzee met en scène cette folie coloniale dans son roman En attendant les barbares avec une acuité remarquable.  

Dans un empire aux frontières non précisées, un avant-poste situé dans le désert est administré par un magistrat vieillissant et humain, trop humain. Le fantasme de la rébellion né chez les dirigeants de l’Empire les a conduits à diligenter une expédition de maintien de l’ordre. Le face à face entre le magistrat et le colonel qui dirige le détachement est tendu : le premier tente d’expliquer qu’il est entouré de paisibles nomades qui conduisent leurs troupeaux au gré des saisons, quand le second conclut à une dangereuse inconscience de son interlocuteur, qu’il envisage de neutraliser.

Les premiers nomades rencontrés par le bataillon militaire sont faits prisonniers et sauvagement torturés. Le magistrat réagit en s’intéressant à l’une des victimes de ces exactions, une jeune femme sortie aveugle et infirme des mains des tortionnaires. Les mobiles du magistrat relèvent autant du désir sexuel que de l’humanité dans sa volonté de secourir cette jeune femme. Après une cohabitation frustrée par ses mauvais sentiments et son incapacité à séduire sa compagne, il décide de la reconduire chez les siens.

Cette démarche provoque sa chute en même temps que le déchainement de la violence guerrière. A son tour le magistrat est déchu, avant qu’un retournement le remette au premier plan dans un monde écroulé.

Ce qui est admirable dans cette figure de magistrat trop faible, c’est sa conscience du rôle ambigu qu’il joue sur cette scène tragique : « Car je n’étais pas, comme j’aimais le penser, l’indulgent contraire hédoniste du froid et rigide colonel. J’étais le mensonge que l’Empire se dit à lui-même quand les temps sont aisés, et lui la vérité que dit l’Empire quand soufflent les vents rudes, pas plus, pas moins. »      

Comme souvent chez J.M. Coetzee, les personnages vulnérables, blessés, accouchent d’une parcelle de vérité qui ne les a pas secourus.

 

 

 

Sur le système colonial :    Le Discours sur le colonialisme - Aimé Césaire

                                                        La colonie pénitentiaire – Franz Kafka

                                                      

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