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5 octobre 2012 5 05 /10 /octobre /2012 19:57

Le voyage en Inde effectué en commun par Alberto Moravia, accompagné d’Elsa Morante, et Pier Paolo Pasolini en 1961 a donné naissance à deux récits antagonistes et complémentaires des deux amis écrivains. Une certaine idée de l’Inde de Moravia est une réflexion didactique sur la religion et la civilisation indiennes, enrichie par les visions perçues et les entretiens avec des personnalités indiennes dont, en premier lieu, Nehru, le premier ministre des débuts de la démocratie indienne. L’odeur de l’Inde de Pasolini, au contraire, est une réaction passionnée à la découverte brutale du pays. L’arrivée à Bombay est un choc : le contraste entre le luxe de l’hôtel Taj Mahal où résidaient les écrivains, au bord de l’océan, « miné de part en part de corridors et de salons aux plafonds très hauts, … empli de boys vêtus de blanc, et de portiers coiffés du turban de gala »,  et la foule de mendiants qui vivent à côté du palace, vêtus de chiffons, dormant dehors à même le sol, en groupe, provoque une excitation extrême chez Pasolini, alors que Moravia reste impassible. Pasolini poursuit seul sa découverte dans la nuit lorsque deux jeunes hommes issus du groupe s’approchent de lui et se présentent. L’un, nommé Sundar, est musulman, l’autre, Sardar, est hindou. Ils expliquent au visiteur que tout le groupe est réuni à cet endroit pour profiter des restes du dîner de l’hôtel, avant de dormir sur son parvis.

Le texte de Pasolini est empreint d’un lyrisme triste, parfois teinté d’enthousiasme à la vision de sites admirés, comme Fatehpur Sikri, la ville morte construite sur ordre d’Akbar, le troisième Grand Moghol. Il raconte encore sa rencontre avec Revi, le nain croisé à Bénarès. Dans ses explorations il reste le plus souvent en compagnie d’Elsa Morante, de laquelle il se sent beaucoup plus proche par les sentiments que de Moravia. A Bénarès, le caractère paisible des bûchers funéraires et l’absence visible d’émotion parmi les assistants le marquent, alors que Calcutta, malgré la rencontre enrichissante de Mère Teresa et un cocktail cinématographique, le plonge dans la plus noire des misères.

Pasolini décrit aussi la monotonie du paysage indien, avec ses plaines sablonneuses, ses villages aux maisons de torchis ou de bouses de vaches, les vaches errant n’importe où, jusqu’au milieu des grandes villes. Il montre la foule indienne, la lenteur qui l’habite et sa résignation apparente à la pauvreté et à  l’absence d’évolution sensible. Il n’hésite pas à exprimer ses antipathies non plus, en particulier à l’égard de leur chauffeur sikh.

Au total, à l’inverse d’un récit de voyage ordonné, le texte de Pasolini fournit des impressions éparses recueillies au fil des expériences, sans ordre défini et sans suite chronologique. Son attrait réside dans sa puissance d’évocation de l’un des pays les plus fascinants.

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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 19:40

Le panthéon hindou est considérable. Nous allons seulement tenter de le schématiser à partir des bribes d'information récoltées. Il y a deux grands dieux à l'origine de tout : Brihm, qui symbolise l'énergie, et Eom, qui représente la naissance, la vie et la mort. Puis apparaissent :

- Brahma, créateur du monde, qui a quatre têtes, pour les quatre directions, quatre mains, comme les Vedas, dont le véhicule est l'oie et l'épouse Sarasvati, déesse de la connaissance, représentée avec une cithare.

- Vishnou, qui a quatre mains et porte un coq, un masque et un disque denté. Son véhicule est Garura, l'aigle, et son épouse Laxmi, déesse de la fortune, montrée sur une fleur de lotus, avec le hibou pour véhicule.

- Shiva, toujours porteur d'un cobra, Kala, symbolisant la mort : c'est le destructeur. Son véhicule est Nandi, le taureau. La lune et l'eau qui coule lui sont liées. Son épouse est Parvati, la déesse de la guerre, qui a huit ou dix bras, quand Shiva en a généralement six. Parvati a pour véhicules le lion et le tigre.

Brahma a créé le monde, mais c'est un gaffeur : sa création est remplie de défauts. Vishnou doit réparer les bourdes de Brahma : c'est l'opérateur, arrangeur de toutes les inconséquences de Brahma, chargé de faire fonctionner le monde et ses êtres. Et Shiva le destructeur doit détruire une partie de la création au fur et à mesure de sa prolifération pour lui permettre de se régénérer.

Cette trilogie du générateur, de l'opérateur et du destructeur serait le modèle de toutes les religions, y compris le christianisme, dont le Dieu en anglais est GOD. C'est un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas ?

Pour les hommes, la régénération dépend du karma de chacun, avec trois types d'éléments qui entrent en ligne de compte : le travail, les bonnes actions, le jugement pour la vie prochaine.

Les prêtres sont toujours des brahmanes, qui ont étudié dans les écoles védiques et sont nommés de père en fils.

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29 juillet 2010 4 29 /07 /juillet /2010 18:56

Deux fois nous avons assisté à des danses indiennes, la première à Jaipur, lors de la célébration d'un anniversaire, où deux jeunes danseuses se produisirent, entraînant ensuite tout notre petit groupe. C'était très gracieux, plein de vivacité, de naturel et de fantaisie. La seconde à notre retour à Delhi pour le réveillon de la Saint Sylvestre : là, la danse ressemblait plus à un numéro de cirque avec différents accessoires et des contorsions acrobatiques. C'était plus impressionnant mais moins naturel.

Il nous fut aussi donné d'assister à un spectacle de marionnettes à l'hôtel à Mandawa, pendant le repas : ce spectacle, au bout de quelques minutes, gênait la majorité des convives, qui préféraient poursuivre leurs conversations. Les comédiens faisaient de vains efforts pour retenir l'attention d'une audience indifférente, qui ne les regardait pas, n'applaudissait pas et devait se faire prier pour donner une petite pièce à la fin de la représentation. Cette scène mettait en évidence la coupure qui existe entre des touristes fatigués de la route parcourue dans la journée et des artistes populaires, désireux de faire découvrir leur culture et leur mode d'expression, pour une modeste rétribution. L'étrangeté de la musique orientale choque l'ouïe des occidentaux et perturbe le cours de leur dîner. La présence des comédiens et des musiciens à côté des tables du repas crée un malaise chez ces individus las, incommodés d'être observés par les artistes dans leur comportement intime. Au-delà de ces réactions un peu désinvoltes, cette expérience montrait bien la nécessité d'établir une distance entre les artistes et les spectateurs. Malgré toutes les tentatives récentes de théâtre de rue, de mélange entre comédiens et spectateurs, il apparaît clairement que l'art a besoin d'une médiation pour toucher le spectateur : il doit être recherché en tant que tel, désiré et observé de façon exclusive. Son intrusion dans la vie quotidienne pose problème car elle empêche les spectateurs involontaires de faire abstraction de leur activité commune, comme ils y sont préparés lorsqu'ils pénètrent dans une salle de spectacle après avoir acheté un billet d'entrée. L'un des aspects gênants de cette représentation, invoqué par certains, de surcroît, était la présence d'enfants parmi les comédiens, note incongrue pour les bons sentiments véhiculés dans nos contrées, malgré leur présence éventuelle dans nos spectacles institutionnels. 

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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 19:06

Peu après être sortis de Jaipur, sur la grand' route, nous nous sommes arrêtés devant un groupe de gens assis, en plein milieu d'un côté de la chaussée, en costume traditionnel, pyjama et turban pour les hommes, sari et voile pour les femmes, très dignes. Il s'agissait de villageois venus des montagnes, en pèlerinage vers Pushkar. Ils parcouraient plus de cent kilomètres pour se rendre dans la ville sacrée et paraissaient totalement étrangers à la frénésie que nous avions observée devant le temple de Brahma. Ils étaient bien rangés en trois lignes d'un côté de la route et sur le bas côté, assis en tailleur sur des tissus étalés, dans une attitude propice à la méditation. Seuls quelques hommes restaient debout, sans bouger.

Fatehpur Sikri : Vaste citadelle moghole, construite sous Akbar au XVIème siècle, dans un style somptueusement baroque, aux influences multiples, pour en faire une capitale qui fut abandonnée une quinzaine d'années après son achèvement. Véritable ville fantôme, où ne subsistent que des palais dans différentes cours, sur une colline plantée d'arbres. Tous ces palais, en grès rose ou en marbre, sont en parfait état, comme protégés par leur abandon, dû paraît-il à l'aridité du sol. La merveille du lieu est le mausolée du sheikh Salim Chishti, conseiller d'Akbar, à l'intérieur de la cour de la grande mosquée. Tout de marbre blanc, avec son vaste toit à coupole qui forme un large auvent couvrant l'entrée du bâtiment et ses côtés, soutenu par deux colonnes et des supports en forme de serpent, il se reflète dans l'eau du bassin qu'il domine, et tranche sur l'ocre des bâtiments de la mosquée qui l'entourent.

Agra : le dôme du Taj Mahal dépasse des hauts murs de la cour qui précède le jardin qui l'entoure. Aperçu sous la voûte de l'entrée monumentale de ce jardin, il se distingue peu de la brume de fin d'après-midi, puis, lorsque nous avançons dans l'allée, tout le bâtiment se dresse en majesté sur son vaste soubassement de marbre, bien encadré par ses quatre minarets. L'intérieur était sombre à cette heure tardive, ne permettant pas de détailler les deux tombes de l'empereur et de sa chère épouse, ou plus exactement les monuments funéraires, car leurs cendres n'y reposent pas. 

La rivière Yamuna, qui longe l'arrière du mausolée, par son courant lent et ses rives sablonneuses, renforce l'aspect mélancolique du lieu, que la foule des visiteurs ferait oublier. La nuit tombait quand nous sommes sortis du jardin, donnant des tons violets à ce grand temple de l'amour.

Le dernier grand monument visité à Agra est le Fort Rouge, immense forteresse palais qui servit de résidence aux derniers des Grands Moghols, et de prison à Shah Jahan, le promoteur de la construction du Taj Mahal, après le coup d'état de son fils Aurangzeb : il passa les neuf dernières années de sa vie dans une salle du fort, d'où il pouvait effectuer une promenade quotidienne sur les remparts et y apercevoir le Taj Mahal au loin. Cette histoire triste, dont nous ne connaissons pas tous les détails, retentit comme un conte de fées qui se terminerait mal. Quoi qu'il en soit, ce fort reste l'un des plus impressionnants monuments visités, avec ses remparts rouges, ses grandes cours, la dentelle de marbre de certaines cloisons, les poteaux de marbre sertis de pierres semi-précieuses. 

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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 19:10

Il faudrait évoquer Jaipur, la plus attirante des trois grandes villes traversées, par sa vieille ville rose bien délimitée dans une enceinte, et ses faubourgs où fut aménagé un grand lac artificiel dans lequel une île héberge un palais d'été. C'est la seule de ces villes qui affiche un plan d'urbanisme et une architecture cohérents. Dans la vieille ville, construite au XVIIIème siècle, les larges avenues enserrent les quartiers aux rues étroites. A côté du somptueux City Palace, le curieux observatoire astronomique, - Jantar Mantar -, avec son cadran solaire, les rampes servant à l'observation des étoiles, les petits cadrans figurant les signes du zodiaque, retient l'attention, de même que l'étonnant Palais des Vents à la façade en arc de cercle, percée d'étroites ouvertures par lesquelles les femmes du harem pouvaient observer l'animation de la ville sans être vues.

Et Jaipur est construite à côté du fort d'Amber, lui-même au milieu d'un vaste système de fortifications à l'intérieur desquelles se situait l'ancienne capitale du Rajasthan, qui précéda Jaipur. Pour accéder à ce fort, nous avons profité de la montée à dos d'éléphant, bercés par le pas souple et régulier de l'animal, qui nous donna le temps d'admirer la vue de Jaipur aperçue dans la brume, derrière la gorge qui la sépare d'Amber. Au fond de cette gorge se trouve encore un lac, pourvu d'un palais construit au milieu. La forteresse comprend toute une série de cours et de bâtiments de styles hindou et moghol, les salles d'audiences publiques, le jardin des femmes, la fontaine, le gynécée... dans un agencement complexe, réparti sur plusieurs niveaux.

A Jaipur, le soir sur le parvis de l'hôtel, nous avons eu l'occasion d'observer la noce d'un riche jeune homme, assis dans une calèche, en costume blanc avec un chapeau aux parements rouges. Des musiciens en blanc avec des turbans rouges jouaient des cuivres, permettant à la foule des invités de danser sur un rythme endiablé, hommes et femmes séparés, éclairés par de lourds lampadaires portés sur l'épaule par des porteurs en uniforme. Le contraste était saisissant entre l'exubérance de la foule et la mine sombre du marié, que je vis ensuite, très grand et fort jeune homme, dans le hall de l'hôtel, puis montant l'escalier pour se diriger vers la chambre où sa promise l'attendait, accompagné d'un groupe d'invités. En Inde, même dans les milieux aisés, les mariages sont généralement arrangés.    

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 19:30

L'une de nos étapes les plus agréables fut Kuchaman, charmante petite ville au pied de son fort. Un grand marché de fruits et légumes, où des vaches faméliques erraient parmi les étalages, se tenait au centre du bourg. Les maisons, très baroques, étaient peintes dans des tons pastel. Le fort se dressait sur sa butte rocheuse que nous escaladâmes en quatre-quatre. Nous logions dans une aile du fort, au confort un peu spartiate, mais de là nous avions une vue superbe sur la ville et la plaine, où l'on distinguait les reflets des marais-salants d'un grand lac salé. Cinq fois par jour retentissait l'appel à la prière de différentes mosquées. Le fort en revanche est décoré en style typiquement indien, avec cours intérieures, l'une contenant une piscine, salle d'apparat aux murs et au plafond tout de verre, et salon aux peintures décrivant les ébats sexuels du maharajah.

En route vers Pushkar, la ville sainte hindoue, nous avons aussi marqué un arrêt à Roopanghar, beau village dont le centre est délimité par son enceinte percée d'une superbe porte musulmane. Là encore les maisons sont peintes dans des teintes bleutées, les commerçants, aimables, attendent assis devant leurs boutiques. A l'extérieur de la fortification se trouve un salon de thé où les hommes sont assis en terrasse sur des tabourets en rotin, arborant leurs turbans, roses pour les brahmanes, jaunes pour les guerriers, multicolores pour les marchands, rouges pour les intouchables. Dans le nord de l'Inde, il existe une cinquième caste, les vishnoïs, rigoureusement végétariens, couverts de turbans blancs, protégeant les animaux et les arbres : ce sont des cultivateurs et des éleveurs.

A l'approche de Pushkar, le paysage est plus accidenté à proximité des monts Aravalli dans lesquels sont exploitées des carrières de marbre blanc et noir. La ville sainte a le privilège d'héberger le seul temple dédié à Brahma dans toute l'Inde. Pour aller le visiter, nous avons traversé tout le centre de la ville par des ruelles où la circulation automobile est interdite, mais pas les deux-roues. Comme la ville est très fréquentée et qu'elle offre une multitude de boutiques, nous cheminions lentement. Arrivés à proximité du temple nous laissâmes nos chaussures dans un magasin et attendîmes à la grille. Des singes, en un bruit assourdissant, sautaient des arbres bordant l'entrée du temple sur des constructions annexes couvertes de tôle ondulée. Nous gravîmes l'escalier pour pénétrer dans la cour du temple. Là les Indiens se tenaient en file pour avancer vers le sanctuaire et remettre leurs offrandes. Dans cette cour, normalement, ils se prosternaient et baisaient une pierre centrale. Puis ils tentaient de s'approcher du prêtre qui recevait les offrandes dans une bousculade effroyable, en criant, se poussant sans ménagement. C'était une extraordinaire foire d'empoigne, qui nous empêcha de voir le sanctuaire de près. Il est stupéfiant de se trouver mêlé à cette fureur, dans ce lieu que nous pensions destiné au recueillement. Après avoir déposé leur offrande, les fidèles doivent encore faire sept fois le tour du sanctuaire principal, en s'arrêtant dans chacun des sanctuaires annexes, des salles généralement sombres, pour y déposer à nouveau des pièces de monnaie ou d'autres présents. Dans le parvis, de nombreuses pierres comportent des inscriptions gravées en souvenir des morts. Seuls les sanctuaires latéraux connaissent un peu de calme. Autrement, la ferveur de ce peuple extrêmement religieux paraît s'exprimer dans la cohue et le chahut.

Ce ne fut pas notre dernière surprise : à peine sortis du temple, notre guide nous conduisit vers le lac sacré pour nous soumettre à un rite, moyennant le versement de cinquante roupies à un ordonnateur. Cette comédie contrevenait à mes convictions de libre penseur, mais je me suis laissé entraîner. Il fut remis à chacun des pétales de fleurs, puis nous devions nous asseoir en rang devant le bord du lac. L'ordonnateur nous attacha un bracelet de ficelle au poignet et nous enduisit de poudre rouge ou orangée entre les yeux avant de reprendre les pétales qu'il jeta dans le lac. C'est au milieu de cette comédie de prière que T. et S. nous surprirent, au grand mécontentement de l'ordonnateur qui voyait son autorité battue en brèche. Cette rencontre inopinée survint au meilleur moment possible, pour servir de contrepoint à cette mascarade. 

Pushkar est aussi, avec Vârânâsi, l'une des villes où il est possible de jeter les cendres des morts.     

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 19:39

La route dans le Rajasthan traverse une campagne agricole où la culture dominante, après la sortie de Delhi et la traversée de l'Etat de Haryana, est le colza. L'agriculture dépend de la mousson : aucun cours d'eau ne traverse cette campagne plate. Les routes sont bordées d'une rangée d'arbres de chaque côté. Au milieu des voitures et des camions, un bon nombre de charrettes tractées par des dromadaires, quelques tracteurs et les nombreux animaux - chiens, vaches, chèvres... - qui obligent les conducteurs à freiner brutalement, y circulent à leur vitesse.

Juste après notre entrée dans le Rajasthan, nous avons été arrêtés par des policiers. Le chauffeur est sorti discuter avec eux. Les explications durèrent longtemps jusqu'à ce que le chauffeur se mette à crier après les gendarmes. Notre guide se mêla à l'altercation sur le ton de l'apaisement et, au bout de quelques minutes, chauffeur et guide revinrent vers le car sous le salut des policiers. Nous apprîmes que les policiers avaient notifié au chauffeur un excès de vitesse, dont celui-ci s'était défendu, assurant qu'il faisait très attention à pouvoir freiner lors des traversées de villages ou de passage d'animaux en liberté sur la route. Il demanda la confirmation du contrôle radar, que les policiers ne purent produire, prétextant que le radar était en panne. C'est donc ce qui motiva sa colère, quand il comprit que la police voulait le rançonner indûment. Par la suite, le guide nous révéla que le chauffeur appartenait à la caste des guerriers, ce qui ne nous surprit pas après cette farouche défense.

Les villages, tout au long desquels se tiennent des bazars de boutiques et de services variés, sont les lieux de vie les plus accueillants de l'Inde, malgré les cabanes de torchis où vivent de nombreuses familles. La misère et la crasse y paraissent moins présentes qu'en ville. Les habitants, agriculteurs, artisans ou commerçants accueillent les visiteurs avec plus de naturel. Il s'en dégage toujours une odeur d'épices qui se mélange à celle des animaux et, parfois aussi, des rigoles où s'écoulent les immondices parmi les eaux usées et les excréments.

Nous n'avons pas eu l'occasion de pénétrer dans un foyer, d'y découvrir le mode d'existence courant des villageois. Nous n'avons côtoyé que les commerçants et les artisans qui exercent leur activité au bord de la route. C'est donc une vision superficielle que nous pouvons conserver de la vie quotidienne dans les villages indiens. De même n'avons-nous pas pu voir des agriculteurs au travail dans les champs. Nous ne connaissons donc rien de leurs techniques d'exploitation. Peu de détails nous furent communiqués sur la vie quotidienne en général ; nous étions limités aux observations ponctuelles, forcément partielles. C'est pourquoi la marque la plus constante des villages traversés reste l'image des bazars, tous très similaires avec leurs foules bariolées, leurs étalages et les petits métiers exercés sur le bord de la route, en présence des inévitables vaches.

Passé cette plaine agricole, avant d'arriver à Mandawa, nous avons traversé une steppe de sable poussiéreuse, parsemée d'arbres souvent effeuillés, aux branches tordues qui leur donnent un aspect tourmenté et presque sinistre au crépuscule. C'est le lieu que notre chauffeur choisit pour une halte où il nous offrit un apéritif composé de rhum et de coca cola. Sur ces collines désolées, les chevilles griffées par de très petites plantes épineuses qui affleurent, au coucher du soleil, nous avons brisé la glace et fait plus ample connaissance avec Heimant, notre guide, qui se faisait appeler Heimu, avec le chauffeur et son assistant, jeune homme timide au doux sourire, et avec nos compagnons de voyage. Ce paysage sauvage me fit une forte impression, comme un avant-goût du désert de Thar, qui couvre l'est du Rajasthan, désert où nous n'avons pas pénétré.

Ces visions crépusculaires me hantent comme un écran placé devant l'immensité des zones obscures de notre découverte de l'Inde.   

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 19:15

Ce qui domine dans les principales villes visitées, Delhi, Jaipur et Agra, ce sont les édifices musulmans, mosquées, forts ou palais, ainsi que les mausolées. Ils témoignent de la puissance des musulmans dans un pays conquis, où ils ont toujours été minoritaires. Il y eut manifestement des périodes brillantes, où la tolérance régnait, notamment sous Akbar, le troisième Grand Moghol, mais aussi des périodes de pouvoir plus autoritaire, sans doute moins conciliant à l'égard des hindous et des autres religions. Toute cette histoire conflictuelle, poursuivie en mineur après la colonisation anglaise, pendant laquelle la minorité musulmane jouissait malgré tout d'une certaine faveur de la part des autorités coloniales, rejaillit maintenant dans les tensions communautaires. L'extrême douceur des hindous, qu'observait Pasolini au début des années 60, a cédé la place chez certains extrémistes à un fort ressentiment qui dégénère en violence.

Hormis Jaipur dont le centre ancien de la ville a conservé le plan d'urbanisme initial, avec le City Palace qui en occupe une part importante, et les rues, tracées en damier, aux maisons décorées dont le rez de chaussée contient généralement une boutique ou un atelier, les villes connaissent le plus souvent un développement anarchique. New Delhi constitue une capitale triste avec ses longues avenues bordées de jardins et ses bâtiments impersonnels. Même les monuments de prestige, comme la Porte de l'Inde, paraissent mornes. Il faut aller dans les villes plus modestes du Rajasthan pour trouver, malgré la pauvreté, le souvenir d'une période brillante, comme à Mandawa avec ses havellis, ou Pushkar la ville sainte des hindous, et même Kuchaman, dominée par son fort. Ces villes gouvernées par des Maharajas ont connu une grande richesse, aujourd'hui passée, mais elles n'ont généralement pas subi la croissance extrême des villes choisies par les Grands Moghols. Elles se concentrent presque toujours autour d'un marché ou d'un grand bazar où la foule est bigarrée, les hommes avec leurs turbans de couleur, sur un vêtement blanc ou de couleur claire, les femmes en sari aux tons vifs. Dans le Rajasthan, le tourisme est dominant, avec ses dérives qui incitent la population à vivre de mendicité dès le plus jeune âge, ou à exercer un trafic organisé de souvenirs, de cartes postales ou de photographies des touristes.

La campagne y est plus traditionnelle, où dominent les cabanes aux toits de chaume construites en torchis ou en bouses de vache séchées. L'activité y est toujours ouverte sur la rue : les animaux des agriculteurs sortent. Même lorsque les vaches sont attachées, elles séjournent au bord de la route. Les artisans exercent leur métier sur la voie publique : barbiers, confiseurs, pâtissiers..., autant que dans leurs boutiques ouvertes. 

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13 juillet 2010 2 13 /07 /juillet /2010 20:29

Rentrés de l’Inde depuis douze jours, nous n’en sommes encore pas revenus. C’était tout ce qu’on sait de l’Inde, la pauvreté qui s’étale dès les premiers instants à Delhi, les temples, le choc des communautés hindoue et musulmane, les vaches efflanquées au milieu des rues, la crasse et la poussière, les autoroutes encombrées de véhicules à la conduite anarchique, les grands ensembles en construction à la sortie de Delhi, dans un style stalinien, les gens qui marchent au bord des routes ou qui s’entassent à douze ou quinze dans de minuscules camionnettes, les vendeurs de souvenirs aux abords des monuments, les mendiants, les commerçants, les artisans, les paysans, et les castes si enracinées dans la vie, dans l’imaginaire et dans le jeu des relations sociales.

A Delhi, le temps fort de notre visite a été le passage au mémorial consacré à Gandhi, sur le lieu de son incinération. Notre guide nous demanda si nous pensions que Gandhi était une personnalité positive, puis il nous déclara que les Indiens aujourd’hui, dans leur grande majorité, considèrent que Gandhi a eu un rôle très négatif, qu’il est responsable de la partition entre l’Inde et le Pakistan, du conflit du Cachemire, de la guerre de 1947 et de ses centaines de milliers de morts, de la tension persistante avec le Pakistan. Malgré mes objections sur le fait que Gandhi était hostile à la partition et que celle-ci était revendiquée par Ali Jinnah, à la tête de la Ligue Musulmane, il répondit que Gandhi, Jinnah, Nehru et Indira Gandhi étaient tous responsables de la situation actuelle, du conflit larvé, des attentats et de la trop grande tolérance accordée selon lui aux musulmans. Plusieurs jours après, un jeune vendeur dans un centre commercial d’Agra me demanda à brûle pourpoint ce que je pensais de Gandhi. Alerté par les déclarations du guide, je lui répondis que, n’étant pas Indien, mon point de vue était nécessairement décalé, mais que j’avais entendu dire que les nouvelles générations attribuaient en majorité un rôle néfaste à Gandhi en Inde. Il me confirma son hostilité à Gandhi, motivée par la mort de Baghat Singh, un autre dirigeant Indien de l’époque du mouvement de revendication de l’indépendance, dont Gandhi, selon lui, aurait été responsable.

Ces remarques d’Indiens qui bénéficient d’une situation sociale correcte traduisent sans doute un sentiment très répandu, nourri de longues frustrations causées par le système des quotas attribués aux basses castes, aux intouchables ou aux musulmans, dans l’administration. Il convient de mettre en relation ces commentaires avec la montée en puissance des nationalistes hindous depuis une vingtaine d’années, et la violence dont ils firent preuve en de multiples occasions.

La volonté des dirigeants historiques du Parti du Congrès de fonder une république laïque, tolérante, en abolissant les castes et en favorisant les plus démunis ne fait plus recette. De même sans doute, l’hostilité de Gandhi à l’industrialisation, sa volonté de promouvoir la production artisanale, afin de ne pas tomber dans les travers destructeurs de la société capitaliste, semblent complètement rejetées par l’élite économique actuelle.

Aussi ces quelques discours mettent-ils en évidence les principales contradictions en jeu dans l’Inde d’aujourd’hui : d’un côté entre la radicalisation des communautés hindoue et musulmane, avec pour conséquence un retour en force du système des castes, qui s’oppose à la république laïque et à la discrimination positive ; de l’autre, le développement capitaliste qui accroît les inégalités, cause une pollution considérable et rend obsolète la politique de développement harmonieux de la société, promulguée dans le souci de l’environnement et des conditions de vie de la masse des habitants. Ces contradictions principales créent des tensions si fortes que le pays paraît complètement écartelé, alors que ses origines démocratiques étaient les plus prometteuses au sein du tiers monde issu de la colonisation.  

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12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 18:44

Entre la tension des dernières journées de travail, l'agitation de nos récentes visites et les quelques préparatifs auxquels nous nous soumettons, nous tentons de nous habituer à l'idée de partir en Inde dans trois jours. Nous avons nos billets et nos visas, un peu de documentation et quelques livres susceptibles de nous imprégner de la couleur particulière de l'Inde. Notre récente visite du musée Guimet nous a rapprochés des sources indiennes du bouddhisme. Quoi qu'il en soit, j'éprouve toujours autant de difficultés à me préparer mentalement au voyage ; de même qu'une fois revenu, pendant une période plus ou moins longue, j'ai du mal à m'abstraire du climat du pays dont je reviens. Longtemps j'en revois les images, je reste marqué par son atmosphère spécifique et je ne souhaite pas m'en détacher. C'est aussi vrai de l'Inde que du Vietnam et, au fil des semaines qui passent, je me rends compte de mon ignorance.

De toute façon, une fois sur place, la réalité est toujours différente de ce que l'on attendait. Aussi la préparation au voyage ressemble-t-elle toujours à un exercice de style, plus ou moins contraint, destiné à tranquilliser l'esprit, mais dont l'utilité pratique est quasiment nulle. Néanmoins, l'Idée de l'Inde d'Alberto Moravia est agréable à lire et plutôt tonique.

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