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14 avril 2015 2 14 /04 /avril /2015 17:10

Dans la Vienne fin de siècle, où la vie peut paraître à certains si douce, un jeune officier rencontre un ami, qui doit payer de toute urgence une dette de jeu et lui demande de lui avancer la somme.

Seulement, la carrière des armes n’apporte pas l’aisance financière et la solde du jeune lieutenant se trouve vite dépensée. L’aimable officier ne voit d’autre issue que le recours à son oncle ou le gain aux cartes.

Après réflexion, il se résigne à la seconde solution et ne parvient qu’à ajouter sa propre dette à celle de son ami.

Cette histoire somme toute banale est racontée avec une parfaite maîtrise par le docteur Schnitzler, qui, lors de l’indispensable visite à l’oncle, à la suite de la débâcle du lieutenant, introduit encore l’épouse de l’oncle, qui fut une maîtresse occasionnelle de l’officier, renforçant par ces souvenirs le cœur de l’intrigue d’un arrière plan de libertinage, mêlé à un affairisme quelque peu sordide.

Ainsi ce monde léger et plein de charme, en apparence, révèle par touches successives son implacable dureté.

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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 21:31

Franz Kafka commença à écrire à Milena Jesenská de Merano, où il effectuait un séjour au sanatorium de la commune pour soigner sa tuberculose. Milena Jesenská, jeune journaliste et traductrice tchèque, avait demandé à Kafka, qu’elle avait déjà rencontré antérieurement dans des cercles littéraires à Prague, l’autorisation de traduire ses nouvelles en tchèque : elle devint ainsi sa première traductrice dans la langue du pays où Kafka habitait. Milena, elle, vivait à Vienne avec son mari Ernst Pollak, juif comme Kafka. Milena lui répondit et rapidement le ton des lettres de Kafka devint plus insistant et familier. Il prévit de passer par Vienne lors de son retour de Merano à Prague dans le but de rencontrer Milena. La rencontre dura quatre jours durant lesquels les sentiments réciproques des deux épistoliers se cristallisèrent en un début de passion.

Une fois revenu à Prague, Kafka poursuivit assidûment la correspondance avec souvent deux lettres par jour, qui pouvaient être complétées par des télégrammes contredisant certains points de la lettre qui venait d’être envoyée, mais pas encore reçue : ainsi la contradiction arrivait couramment à sa destinataire avant l’affirmation. Kafka avait déjà expérimenté ce type de correspondance intrusive avec sa première fiancée, Felice Bauer, à laquelle il écrivit durant cinq ans, de 1912 à 1917,  avant de rompre définitivement.

Les lettres de Kafka abordent constamment son état de santé, ses insomnies, la contrainte de son travail. Il recommande journellement à Milena de se reposer elle aussi, tout en se plaignant couramment de ne pas recevoir de réponse assez rapide. Leurs sentiments amoureux jaillissent tout au long de cette correspondance, sans que jamais le moindre espoir de vie commune ne se fît jour : Kafka comprit que malgré leurs nombreux différends, Milena et son mari s’aimaient sincèrement.

Au fil des mois, le ton de Kafka devint de plus en plus pessimiste, tant sur leurs relations que sur sa santé. Il organisa néanmoins une nouvelle rencontre à Gmünd, à la frontière entre l’Autriche et la Tchécoslovaquie, où chacun des partenaires n’avait à parcourir qu’une moitié de la distance qui les séparait. Mais cette entrevue se conclut par un échec qui scella la rupture finale entre Milena et Kafka.

Des lettres furent encore échangées, mais sans espoir d’une quelconque évolution vers une vie commune. En 1923, il écrivit encore à Milena, lui annonçant qu’au bord de la Baltique il avait fait connaissance avec une jeune fille juive – il s’agissait de Dora Dymant, sa dernière compagne avec laquelle il vécut à Berlin jusqu’à son transport au sanatorium de Kierling en Autriche, où il décéda en 1924.

Il est particulièrement regrettable que les lettres de Milena à Kafka aient été perdues : son point de vue et son style personnel manquent au lecteur qui, pour se faire une idée des sentiments de Milena envers Kafka, devra se reporter au très beau livre de Margarete Buber-Neumann intitulé Milena, dans lequel l’auteur relate la biographie de Milena, qu’elle avait connue au camp de concentration de Ravensbrück où celle-ci mourut d’épuisement en 1944.

 

 

Autres articles consacrés à Kafka :

 


Kafka, les souris et le chat

 

Le verdict – Franz Kafka

 

La colonie pénitentiaire – Franz Kafka

 

Lettre au père – Franz Kafka

 

Sur les pas de Kafka à Prague 

 

 

 

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29 mai 2014 4 29 /05 /mai /2014 17:53

Les désarrois de l’élève Törless est un de ces romans de formation qui retiennent l’attention pour avoir exprimé des phénomènes pourtant courants, mais qui étaient généralement passés sous silence, bien avant que l’ordre moral commençât à s’estomper.

Le jeune Törless est un adolescent ambitieux qui choisit d’effectuer ses études secondaires dans l’école de W., une petite ville située « sur la ligne de Russie », c’est-à-dire dans les régions orientales de l’Empire d’Autriche Hongrie.  Cet établissement réputé pour donner la meilleure éducation attirait les futures élites de l’Empire. Ce choix, immédiatement passée la séparation d’avec sa famille, causa un grand trouble à Törless, déprimé par l’aspect austère de l’établissement.

Bientôt plongé dans le quotidien de sa nouvelle vie, il eut d’autres difficultés à affronter. Au début de l’adolescence, les garçons ressentent les premiers élans de la sensualité et, dans la petite ville de W., c’est auprès d’une prostituée vieillissante, Bozena, qu’ils tentaient de la satisfaire, sans ressentir une grande excitation.

A l’intérieur de l’établissement, les relations sont rugueuses. Törless se lia bientôt à deux camarades, Reiting et Beineberg, qui lui firent part des difficultés qu’ils connaissaient avec Basini, un élève qui avait emprunté de l’argent et ne parvenait pas à le rembourser.

Ces prémisses conduisent à une situation où les deux « amis » de Törless harcèlent Basini, le maltraitant et le poussant à des relations homosexuelles que la victime acceptait sans trop se plaindre.

L’intrigue verse ainsi dans le mélange de la terreur qu’exerçaient les deux camarades de Törless envers Basini, et de l’homosexualité dans laquelle les quatre adolescents trouvent un exutoire fortement teinté de sadomasochisme.

Törless, décidément décalé dans ce milieu, est également gagné par des troubles intellectuels, notamment vis-à-vis des mathématiques, et en particulier des nombres imaginaires.

Remarquablement mené, ce roman constitue certainement l’une des meilleures analyses des difficultés de l’adolescence, exacerbées par la vie en vase clos d’un internat rigoureux.

 

Tous ces thèmes reviendront d’ailleurs dans l’œuvre maîtresse de Musil, L’homme sans qualités.

 

 

 

 

Autre texte consacré à Robert Musil : L’accomplissement de l’Amour – Robert Musil

 

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 18:17

Nicolas Tarabas est un proscrit, un jeune Russe des confins de l’Empire chassé de chez lui par son père, qui a néanmoins financé son exil à New York. Ancien étudiant exclu de l’université de Saint Pétersbourg pour avoir adhéré à un groupe révolutionnaire, il déteste New York, cette ville de pierre, et se languit de sa campagne russe natale. Une gitane interrogée à une fête foraine à New York lui annonce qu’il sera « un meurtrier et un saint, qui va pêcher et expier, et tout cela ici-bas ». Encore à New York, il crut, à tort, avoir déjà réalisé la première partie de la prédiction après une rixe dans un bar.

Depuis Stendhal et Julien Sorel, nous savons que des relations conflictuelles entre père et fils peuvent conduire les jeunes gens à des comportements extrêmes, qu’ils peuvent être amenés à payer de leur vie. Lorsque Tarabas eut vent de la déclaration de guerre en 1914 en Europe, sans hésiter, il reprit le bateau vers l’Europe et regagna le foyer familial.

Froidement accueilli par ses parents, il entama une relation avec sa cousine Maria, ce qui conduisit son père à le chasser une nouvelle fois. Engagé dans l’armée, son ardeur au combat et sa capacité à entraîner les hommes lui permirent de monter en grade rapidement. Il fut nommé colonel alors que la révolution avait éclaté. La situation se compliqua encore à ce moment-là sur le front et, sans grande transition, Joseph Roth amène la troupe de Tarabas, marquée par la fatigue des combats, dans le bourg de Koropta, situé dans un état frontalier de la Russie et peuplé de paysans et d’une importante communauté juive. 

Tarabas élit domicile dans l’auberge tenue par un Juif : Nathan Kristianpoller. Une relation se noue entre l’habile aubergiste, habitué à satisfaire les désirs de ses clients de passage chrétiens par de nombreuses tournées de schnaps ou de vodka, et le colonel qui, peu à peu, légèrement abruti par les délices de Koropta, perd la maîtrise de son commandement et délaisse ses hommes. Ainsi le roman d’action entamé par Joseph Roth vire insensiblement, du fait de la pause à Koropta, à la tragédie et au repentir.

Il se produit un supposé miracle dans la chapelle de la localité, qui entraîne les hommes de Tarabas, emportés par le fanatisme et les effets de l’alcool, à déclencher un véritable pogrom à l’encontre de la population juive.

Tarabas, qui n’a pas pris part au massacre, s’éveilla de sa torpeur et alla agresser ignominieusement un pauvre Juif à l’esprit affaibli, rescapé du massacre, commettant ainsi le crime prédit par la gitane de New York.

Cet épisode est le véritable nœud du roman, qui infléchit complètement son action et, sous l’influence conjuguée d’un général humaniste, qui rend visite à Tarabas et prend soin de son avenir, et de l’aubergiste Kristianpoller, qui continue envers et contre tout de soutenir le colonel en dérive, permet au deuxième terme de la prédiction de la gitane de survenir, alors que Tarabas perd pied définitivement.

 

Quoique menée de façon un peu abrupte, l’action de ce roman confirme la capacité de Joseph Roth à témoigner de l’atmosphère si particulière de l’est de l’Europe au début du XXème siècle et à circonscrire de grands événements historiques sur un fond familial et local par l’exemple d’une intrigue poignante et historiquement juste.

 

A lire aussi :    La Marche de Radetzky – Joseph Roth

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3 mars 2014 1 03 /03 /mars /2014 18:46

La conscience de Zeno se présente comme l’autobiographie écrite au soir de sa vie par Zeno Cosini à la demande de son psychanalyste. Le récit est d’ailleurs précédé d’une préface du docteur S., ledit psychanalyste, qui déclare publier le manuscrit en fraude, sans l’accord de l’auteur, pour se venger du patient qui interrompit son analyse au moment le plus intéressant.

Dans la réalité, nous imaginons mal un psychanalyste s’adonner à ce genre d’escroquerie, et même demander à un patient de rédiger son autobiographie. Il en résulte néanmoins un récit très vif par lequel, comme le titre l’indique, nous appréhendons plus la conscience du narrateur que son inconscient, ce qui paraît naturel en présence de « l’écriture de soi », quoique, à de nombreuses reprises, Zeno raconte ses rêves, mais sans les analyser en profondeur, sans même en retirer une signification particulière.

Ainsi, Zeno se présente comme un individu velléitaire, plein de charme mais incapable de constance, que ce soit dans sa décision d’arrêter de fumer ou dans ses amours. Affecté par le décès de son père, malgré l’incompréhension qui présidait à leurs relations, la grande affaire de son accession à la maturité fut la recherche d’une épouse. Il s’introduisit dans la famille Malfenti, dont le père, négociant comme de nombreux bourgeois de Trieste, lui fournit un père de substitution. Cet homme était l’heureux père de quatre filles dont les prénoms commençaient par A : Ada, Augusta, Alberta et Anna. C’était un présage favorable pour un homme nommé Zeno, qui pouvait ainsi envisager de sauter du commencement à la fin de l’alphabet, joignant dans son couple à former l’alpha et l’oméga de la vie. Il fit sa cour à Ada, la plus belle, et s’y prit avec tant de maladresse que celle-ci échut à son rival Guido, alors que la famille lui accorda la main d’Augusta, qu’il trouvait laide. Il fit contre mauvaise fortune bon cœur, d’autant plus aisément qu’Augusta avait un caractère très attachant et l’aimait d’un amour attentif, ce qui ne l’empêcha pas d’entretenir une jeune maîtresse.

Interdit de gérer les affaires de sa famille par son père qui, avant de mourir, avait nommé un administrateur, il s’associa bénévolement à son beau frère Guido, et l’enjoignit avec beaucoup de sérieux à gérer ses affaires en bon père de famille, ce dont Guido n’avait cure. En pratique, il avait trouvé en Guido un frère aussi léger et fantasque que lui, mais qui ne s’assagit pas auprès de son épouse.

Ainsi, progressivement, le lecteur ressent le retour au sérieux de la vie provoqué plus par le souci d’une activité économique et de l’amitié ressentie pour Guido que par des séances d’analyse très peu évoquées au fil du récit.

 

Il en résulte au final un roman particulièrement bien mené, d’un bout à l’autre, qui imprègne le lecteur de l’atmosphère si particulière de Trieste, sur l’Adriatique, aux confins de la Slovénie, ville qui au début du XXème siècle appartenait encore à l’Empire d’Autriche Hongrie, dont le roman dresse un tableau subtil, et qui pouvait fort bien avoir été irriguée par les théories du Docteur Freud, quand bien même les pratiquants locaux semblaient avoir des vues quelque peu fantaisistes sur la technique à mettre en œuvre.


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16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 18:25

En novembre 1919, alors qu’il avait trente-six ans, Kafka entreprit d’écrire une très longue lettre à son père, au lendemain de la rupture de son projet de mariage avec Julie Wohryzek, qu’il avait connue au début de la même année.

Dans ce texte, il s’explique sur la peur que son père lui a inspirée depuis sa plus tendre enfance. Ce père, entreprenant et dominateur, apparût au jeune Franz comme une force de la nature, alors que lui-même était un enfant fragile, silencieux et craintif. Il avoua dans cette lettre avoir admiré la capacité de son père à dominer les situations les plus diverses, à s’imposer tant dans son commerce  que dans sa vie familiale. Seulement, l’éducation que son père lui administra écrasa la personnalité de Franz, renforça son incertitude, son inaptitude à s’exprimer, à affronter une situation nouvelle, à nouer des relations.

Le jeune Kafka eut toujours tendance à se retourner vers sa mère, beaucoup plus douce et compréhensive, mais elle aussi occupée dans le commerce familial et, de ce fait, insuffisamment disponible. Il lui resta donc la proximité des bonnes qui s’occupaient de lui dans sa petite enfance.

La lettre relate quelques souvenirs cuisants, comme sa mise en pénitence, en plein hiver, sur la pawlatsche, longue galerie externe construite sur toute la longueur des façades intérieures des vieux immeubles pragois, à la suite d’un caprice. Il évoque sa fuite précoce de tout ce qui lui rappelait son père, à commencer par le magasin familial situé au cœur de Prague. La lettre aborde la question du choix de ses études et de sa profession, largement motivé par le désir d’échapper à l’emprise paternelle, ainsi que le « fantôme de judaïsme » transmis par son père.

Cependant, le point central de cette vaste explication concerne les tentatives de mariage du jeune Kafka, à commencer par la récente rupture avec Julie Wohryzek, provoquée par l’hostilité du père à ce projet. Kafka rappelle à mots voilés les conseils formulés par son père à son adolescence pour débuter sa vie sexuelle, qui consistaient, selon les habitudes de l’époque, à fréquenter les maisons closes. Il rappelle le long épisode de sa relation avec Felice Bauer, de ses fiançailles deux fois prononcées à Berlin devant la famille de cette jeune fille et deux fois rompues à son initiative.

Dans ces passages, il rappelle clairement que ses propres hésitations à s’engager dans le mariage, malgré son désir profond de fonder une famille, tenaient à la difficulté qu’il entrevoyait à concilier un foyer avec sa production littéraire.

Cette lettre, qui apparaît en définitive comme un vaste règlement de compte éclaire le lecteur sur les sources d’inspiration intimes de l’auteur. Elle démontre que la rupture principale dans sa personnalité provenait de cette relation impossible avec son père. Il apparaît clairement qu’une longue explication de ce type, même si elle aborde les questions du point de vue de chacun des protagonistes, ne serait pas de nature à améliorer les relations familiales. Kafka en était bien conscient lorsqu’il soumit la lettre à sa mère : celle-ci lui objecta immédiatement que le père ne supporterait pas une telle remise en question de sa personne. Il suivit cette objection.

Il serait erroné cependant de voir dans cette lettre une dernière tentative avortée de Kafka. Bien au contraire, pour dérisoire qu’elle puisse paraître dans ses motivations et son absence d’effet direct, elle peut être lue comme un élément clef de la longue auto-analyse que Kafka effectua tout au long de sa vie d’adulte, au travers de son journal où, en fidèle lecteur de Freud, il consignait ses rêves, ainsi que dans sa correspondance, tant avec ses maîtresses Felice et Milena, qu’avec ses amis ou sa sœur Ottla.

 

Il est même probable que la rédaction de cette lettre fut le point final de sa démarche de rupture en vue de nouer une aventure amoureuse, qui se concrétisa par son départ à Berlin en 1923, où il vécut pour la première fois une relation « conjugale » suivie avec sa dernière compagne, Dora Diamant. C’est seulement après la rédaction de la Lettre au père qu’il trouva la force de quitter Prague et ses parents, de partir à l’aventure dans des conditions difficiles et d’y trouver un fragile bonheur, malheureusement interrompu par l’intensification de sa maladie et son décès précoce à Kierling en Autriche.

 

A lire aussi : 

Kafka, les souris et le chat

Le verdict – Franz Kafka

La colonie pénitentiaire – Franz Kafka

Sur les pas de Kafka à Prague 

Lettres à Milena – Franz Kafka 

 

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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 20:05

L’été dernier, une course familiale me conduisit à Nové Město na Moravě, au cœur des collines tchéco-moraves. Comme je n’avais rien à y faire, je décidai de gagner Ždár nad Sázavou à pied, par les sentiers de randonnée. Je ne manquai pas d’admirer l’église baroque de cette petite ville industrielle, ainsi que la colonne de la vierge dressée sur une belle place, avant de me diriger vers le nord où les premières collines boisées s’élèvent derrière  Černý Rybník, l’Etang Noir. Le sentier devient alors plaisant à l’ombre des hauts épicéas qui dominent dans ces forêts. 

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Je ne tardai pas à rejoindre le Ski Hotel, bâtiment futuriste construit dans la verdure, où, depuis les années soixante en hiver, les sportifs viennent pratiquer le ski de fond ou le hockey sur glace, alors que de nombreuses noces égayent ses salons. De là, un sentier pentu me fit gagner le sommet de Harusův kopec où un relais de télévision côtoie une pension de famille. Le sentier redescend vers les villages tranquilles de Jiříkovice et Lhotka. A partir de là, il traverse une plaine boisée et quelque peu marécageuse qui devait me conduire jusqu’à Ždár. Je ne fis d’autre rencontre dans ces bois et ces champs qui longent des étangs isolés que les échassiers qui affectionnent cette zone humide, et quelques chasseurs accompagnés de leur chien.

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A proximité du chef lieu, le sentier longe la réserve d’eau de la ville, un vaste étang tout en longueur, resserré dans un vallon, au bord duquel les promeneurs s’égayaient en nombre en cette fin d’après midi. Comme toujours, c’est la traversée des quartiers périphériques de la ville qui procure le moins d’agrément, avant de gagner la grande place centrale sur tout un côté de laquelle, dans les années soixante-dix, des planificateurs inconscients ont fait raser les belles villas art déco qui la bordaient au profit d’un centre commercial sans âme, en béton et en verre. Je restai néanmoins quelques instants à contempler le côté épargné avant de gagner tranquillement la gare où je retrouvai la famille qui attendait paisiblement le bus. 

 

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10 juin 2013 1 10 /06 /juin /2013 19:18

Un avion s’est écrasé au cours d’une violente tempête. Un homme est extrait des débris, agonisant et dans le coma. A l’hôpital où il est emmené, personne ne sait qui il est ni d’où il vient. Le chirurgien souhaite connaître les conclusions de son collègue interniste avant toute intervention. Une infirmière a les yeux troublés à la vue d’un jeune médecin pourvu d’une longue mèche de cheveux.

Trois personnages, présents par hasard à l’hôpital, assistent aux délibérations aigres-douces de l’interniste et du chirurgien : une bonne sœur, un voyant et un poète. Naturellement, chacun d’eux est suspicieux vis-à-vis des deux autres et, sans se concerter, ils vont produire tous trois un récit expliquant les événements marquants de la vie de l’inconnu, Monsieur X, jusqu’à sa chute inopinée en pleine tempête.

La bonne sœur, par un rêve au cours duquel apparaît l’accidenté, met en scène une idylle avortée. Le voyant, par ses visions extralucides, voit surgir un être très théorique : ses sensations lui font découvrir un individu plein de contradictions, ce qui suscite une certaine estime de la part du corps médical. Quant au poète, il construit une fiction en se basant sur des hypothèses logiques, ou du moins vraisemblables. La règle qu’il se fixe consiste à proscrire toute contradiction interne. Par cette méthode, il construit la narration la plus cohérente, un véritable roman dans le roman. Il mélange contexte familial, exotisme, aventure, amour, selon les méthodes d’un romancier.

Par ces trois textes, plus ou moins bien évalués par le chirurgien et l’interniste, Karel Čapek construit une véritable leçon de la production de tout récit imaginaire. Rêve, voyance irrationnelle ou fiction romanesque sont construits sans autre lien que la présence d’un homme agonisant qui vient de tomber du ciel. Chaque récit se démarque complètement des deux autres et aucun ne présente la moindre preuve de sa véracité, ni de son erreur.

Il s’agit au total d’un exercice particulièrement brillant destiné à montrer la puissance de la narration à partir d’un canevas minimaliste. Čapek transporte le lecteur dans trois fictions antagonistes sans apporter de conclusion. Au final, la seule leçon que nous pouvons en tirer peut se résumer à deux propositions : un homme est mort dans un accident d’avion ; nous ne savons ni qui il était, ni d’où il venait.

Le romancier a créé une fiction avec un début et trois fins inconciliables. Le roman est détruit avant même d’avoir été construit. Le lecteur toutefois, dans sa grande irrationalité, peut choisir un récit au détriment des deux autres. Il sait que le roman est une histoire imaginaire, mais là il ne peut savoir avec certitude laquelle des trois est la bonne.

Il s’agit donc d’un grand exercice de manipulation et de déconstruction avant la lettre que nous offrit le grand écrivain tchèque des années 1920 et 1930, préfigurant ce qui allait devenir un thème récurrent de la littérature moderne.

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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 17:39

Dans l’accomplissement de l’Amour, première nouvelle du recueil Noces, Robert Musil analyse précisément l’évolution des sensations et des pensées d’une femme mariée, dans le cheminement qui la conduit à un adultère imprévu.

Claudine et son mari forment un couple uni, retenu par des liens très forts. Claudine a décidé de rendre visite à sa fille, interne dans un établissement scolaire situé dans une autre ville. Elle éprouve quelque peine à partir sans son mari. Cette perspective l’amène à penser à G., un pervers qui « séduit des enfants, incite des jeunes femmes à se prostituer », sans s’empêcher  de sourire en « considérant d’un œil fasciné la faible flamme d’érotisme qui vacille quelque part au fond de lui. » Claudine discute avec son mari de la façon dont G. se perçoit et, à l’inverse de l’incertitude de son mari, elle croit que l’individu pense bien agir. Tout le déroulement de l’histoire du voyage de Claudine est ainsi placé sous le sceau de ce personnage externe, qui pèse sur le psychisme de Claudine du poids de la contradiction entre la réalité de ses actes, le mal qu’il cause à ses victimes et la bonne conscience que lui prête Claudine après avoir vu son visage souriant, en apparence insouciant des crimes qu’il a commis.

Claudine impose à son mari de partager cette image avec elle, comme une clef de leur vie de couple. Leur relation est tellement forte que le mari intègre cette influence, comme tout ce qui vient de sa femme, dans une union parfaitement fusionnelle, où la figure de ce délinquant peut seule provoquer un trouble.

Le lendemain, « Claudine prit le train pour la petite ville qui abritait l’école où était élevée sa fille Lili, âgée de treize ans. » Lili est la fille du premier mari de Claudine. Dans la gare, Claudine déteste la cohue. Les images du passé lui reviennent en mémoire. Ce mélange lui cause une grande peine. Dans le train, son passé continue d’affluer dans sa conscience et elle en ressent un étrange malaise. Un long temps s’écoule avant qu’elle remarque le passager assis en face d’elle, ce qui fera entièrement basculer l’objet de ses préoccupations. Le train devient ainsi, peu à peu, le vecteur d’une évolution dans le psychisme de Claudine, son vis-à-vis prenant graduellement une importance capitale, propre à voiler tous les souvenirs de son passé, ainsi que l’atmosphère habituelle de sa vie. Des rêves anciens remontent dans sa conscience avant de s’enfuir, alourdissant son malaise.

Arrivée à destination, elle resta hébétée et le lendemain matin, se réveillant dans sa chambre d’hôtel, elle avait tout oublié de ses rêves. Elle se prépara à aller au pensionnat, tout en repensant à son compagnon de voyage, le « Conseiller », et comprit que celui-ci la désirait.

Un long processus se poursuivit encore dans l’esprit de Claudine, faisant largement abstraction de sa fille, avant que la rencontre décisive avec le Conseiller n’aboutisse à un résultat absolument imprévu lors du départ de son domicile et que l’amour s’accomplît, envers et contre tout.

Musil présente cette évolution non comme une démonstration mais comme un lent cheminement psychique qui aboutit inexorablement à son terme, sous la forme d’une « noce » à l’envers, que la femme tombée sous l’emprise d’un séducteur doit nécessairement célébrer, malgré ses sentiments de culpabilité et toutes les réticences qui l’accompagnent. A la fin, comme pour contredire ses dénégations, la jouissance la possède.

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17 janvier 2013 4 17 /01 /janvier /2013 19:46

Dans La colonie pénitentiaire, Kafka met en scène, comme dans plusieurs autres ouvrages, la justice, la condamnation et l’exécution. La justice est expéditive, surtout dans cette colonie située dans une île où l’on parle français.

La scène est vue par un témoin prié par le commandant de la colonie d’assister à l’exécution d’un condamné. Un officier est chargé de montrer à cet explorateur en visite dans la colonie le mode d’exécution. Ce dernier, qui n’est pas un professionnel de la justice, éprouve un intérêt limité à cette scène. Cependant, l’officier déploie un grand zèle à expliquer le fonctionnement de la machine à exécuter, en présence du condamné, pauvre bougre à l’air stupide, et de son gardien, un soldat comme le condamné, qui porte la chaine entravant celui-ci. Il s’agit d’un appareil particulièrement sophistiqué, composé de trois parties : en bas un lit où s’allonge le condamné, en haut une dessinatrice et au milieu une herse.

Les commentateurs de Deleuze et Guattari ont fait de cette machine imaginée par Kafka le prototype des « machines célibataires » conçues par ces deux auteurs. Ils entendaient par là des machines destinées à fonctionner en vase clos, sans influence extérieure, de façon immuable, sans souci des conséquences qu’elles peuvent avoir sur leur environnement – ainsi, par exemple, des banques emportées dans la spéculation des marchés financiers et complètement déconnectées de l’économie réelle.

Dans la colonie, l’inventeur du système était l’ancien commandant, qui avait dessiné et construit la machine et avait institué le règlement de telle sorte que tout contrevenant était condamné à passer dans la machine où la herse gravait dans son dos le motif de la condamnation enregistré dans la dessinatrice pendant douze heures d’affilée, au terme desquelles le condamné parvenait enfin à comprendre le motif, juste avant d’expirer. Ainsi tout le système repose sur un règlement arbitraire promulgué par un commandant local, qui s’applique sans nuance à tout individu fautif, sans appréciation de la gravité de la faute et sans information préalable du condamné du motif de la condamnation, ni de sa nature.

L’officier était l’adjoint de l’ancien commandant et il n’éprouvait aucun doute sur la perfection du système inventé par son ancien chef, dont il assurait la perpétuation.

Toute la nouvelle, écrite dans une langue précise, destinée à décrire le mécanisme sans porter de jugement, est un froid constat des faits. Seules les réticences de l’explorateur créent une certaine tension avec l’officier qui comptait s’appuyer sur lui pour contrecarrer les réformes attendues du nouveau commandant.

Les motivations du commandant à faire assister l’explorateur à l’exécution étaient d’ailleurs inverses : il souhaitait recueillir son avis éclairé sur le mode d’exécution en vigueur pour pouvoir l’abolir. A cet égard, l’explorateur exprime un avis sans détour à l’officier : il est nettement hostile aux méthodes en vigueur dans la colonie.

Cet aveu conjugué à une défaillance technique de la machine entraine le dénouement imprévu de l’histoire, sans que le caractère abominable des méthodes utilisées dans cette colonie soit atténué, ni la conviction absolue de l’officier, - emporté jusqu’au bout par son obsession d’une justice mécanique -, ébranlée. L’explorateur, submergé par toute cette horreur, n’a pas le courage d’aller exprimer son indignation au nouveau commandant et s’enfuit piteusement, refusant même de secourir les victimes du système qu’il côtoie.

Ainsi, toujours avec une remarquable retenue, Kafka expose en visionnaire l’existence d’un système précurseur du totalitarisme et l’aveuglement et la veulerie de ceux qui seraient en situation de s’y opposer.

 

A lire aussi :   - Le verdict – Franz Kafka

                     - Kafka, les souris et le chat 

                     - En attendant les barbares – J.M. Coetzee

                     - Lettre au père – Franz Kafka

                         - Lettres à Milena – Franz Kafka

 

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