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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 20:58

On éprouve toujours quelque peine à se trouver transporté dans une ville étrangère sans autre transition que le déplacement à l’aéroport et la durée du vol. Cette impression m’a encore saisi le matin, à la sortie de l’aérogare de Berlin Tegel, lorsque nous attendions l’autobus dans le froid qui contrastait avec l’atmosphère parisienne des derniers jours. Après le bus le métro et, en sortant de la station Stadtmitte, nouveau choc : l’étrange sentiment de se retrouver dans un quartier délabré de Varsovie ou de Budapest. En fait nous logeons en plein Berlin Est, c’est-à-dire au milieu d’un vaste chantier qui atteint la porte de notre hôtel.

Toujours sous le coup du froid, nous sommes partis à la découverte de ce quartier de Mitte, depuis le Gendarmenmarkt, où nous logeons, en nous dirigeant avec des détours vers Unter den Linden, la Spree et l’Alexanderplatz.

Après déjeuner – dans un restaurant moderne de la Karl Liebknechtstrasse –, nous sommes allés découvrir l’Hôtel de Ville puis le Nikolaiviertel avant de retourner doucement vers notre hôtel, en entrant dans les églises. A Berlin Est les chaussées sont souvent défoncées, les échafaudages abondent et les immeubles modernes des années 60 ou 70 alternent avec des îlots d’immeubles restaurés à l’ancienne. Les monuments reconstruits ont souvent belle allure extérieurement, comme l’ensemble de Gendarmenmarkt, mais d’autres, à l’image des musées de l’Île aux Musées, paraissent vétustes. Plusieurs églises ont été affectées à des activités muséographiques, dénaturant ainsi leur aspect intérieur.

L’ensemble moderne de l’Alexanderplatz ne témoigne pas d’une grande qualité architecturale avec ses hauts immeubles déjà dégradés entourant l’immense tour de la télévision.

La réalisation la plus harmonieuse se situe dans le Nikolaiviertel avec ses petites maisons bien reconstituées, ses commerces et tous ses restaurants aux salles avenantes. Pour le reste, il faudra revenir dans une quinzaine d’années voir les progrès accomplis.    

Le lendemain, à peine sortis nous sentîmes le froid nous piquer le visage et les mains. Nous gagnâmes aussitôt la Brandenburger Tor et, de là, le Tiergarten ne nous parut pas attirant sous ce climat. Nous longeâmes le Reichstag – non restauré – et nous dirigeâmes vers l’Île aux Musées en marchant au bord de la Spree aux eaux si noires. L’après-midi fut consacré aux visites du Berliner Dom, vaste église néobaroque, de la Nationalgalerie aux collections un peu ternes de peintres allemands du XIXème, laissant quelques salles consacrées à des peintres français, et pour finir du Pergamonmuseum, aperçu en vitesse.

La visite de l’Ouest, le Kurfürstendam et le quartier environnant, marque un contraste avec l’Est, certes, mais assez caricatural : à Mitte des musées, des bâtiments officiels, de grandes églises, des théâtres et au Kurfürstendam des grands magasins, des centres commerciaux, des banques, de grands cafés… Les immeubles y sont généralement mieux entretenus mais le style est identique : de lourdes constructions du début du siècle, très Mitteleuropa, alternent avec des bâtiments des années 60-70, plus riches, plus cossus mais dans le même ton qu’à l’Est, les alignements en moins. L’apparence est résidentielle sans excès. On y trouve de petits restaurants et cafés d’allure populaire, offrant de la bière, des schnitzels et du goulasch et, autour de Savignyplatz, des boîtes de nuit et des cafés branchés… Le béton des bureaux domine sur l’Ernst-Reuterplatz. Notre découverte du quartier était toujours entrecoupée de stations plus ou moins longues dans le centre commercial Europa Center, dans la Gedächtniskirche qui fusionne vestiges de l’ancienne église et construction nouvelle, dans les magasins KaDeWe, Hertie, les librairies… , pour voir, acheter parfois, mais surtout pour nous réchauffer. Une grande animation règne dans la plupart des rues où l’élégance est tempérée par les nécessités climatiques. Il serait bien hasardeux d’affirmer qu’on ressent l’existence d’une vie à deux vitesses entre les deux pôles de la ville : les gens qui se pressaient dans les musées dimanche n’étaient-ils pas les mêmes qu’on rencontre sur le Kurfürstendamm lundi, à l’heure du déjeuner ou à la sortie du travail ? Sur le chemin du retour nous avons longé le zoo jusqu’à la station Tiergarten du S-Bahn.

Aujourd’hui, découverte de Kreuzberg, quartier des Turcs, des punks, des intellectuels anticonformistes… Ce n’est pas le grouillement d’Istanbul mais les magasins, les restaurants près de Kotthusser Tor sont bien turcs. Quelques ruelles joliment restaurées, des églises en brique rouge, un marché, une population mélangée, des enfants déguisés pour le carnaval dégagent une atmosphère bon-enfant en somme, sans l’odeur et le bouillonnement de bazar oriental de la Goutte d’Or, par exemple. Les lieux ne s’y prêtent pas d’ailleurs : rues trop droites et trop larges, se coupant à angle droit, places trop vastes : on est loin du tiers monde. Le métro aérien ajoute sa touche de pittoresque à ce quartier un peu différent, bien qu’aucun marché aux voleurs, ou autres, ne s’abrite sous son viaduc.

L’après-midi, changement de lieu et de style pour la visite du château de Charlottenburg sous la conduite d’une guide allemande en pantalon, bottes à hauts talons, un béret blanc sur le derrière de la tête et des lunettes de soleil en équilibre sur le front, avec un foulard à motifs en peau de léopard sur les épaules. Ses longues explications furent perdues pour la majorité des visiteurs qui n’en comprenaient pas un mot. De belles salles aux motifs baroques et rococo sont minutieusement restituées. L’ensemble est agréable à voir sans être inoubliable. Le plus intéressant pour moi était l’enfilade des pièces, d’un bout à l’autre du château, visible grâce aux portes ouvertes. En sortant nous avons effectué un bref tour dans le jardin longé par la Spree, avant de nous engouffrer dans le métro à la station Richard-Wagner-Platz.  

Ce matin, retour à la guerre froide, nous sommes allés jeter un coup d’œil à Checkpoint Charlie, le principal point de passage entre Berlin Est et Berlin Ouest. C’était l’occasion de nous projeter dans le passé, dans un roman d’espionnage. Pourtant, il est difficile d’imaginer décor plus banal que ce carrefour. Aujourd’hui que le mur a été détruit, un petit musée fait chèrement payer le souvenir de la coupure entre les deux Berlin, et des camelots turcs vendent de fausses casquettes d’officiers soviétiques. Mon seul regret : n’être pas venu avant 1989. Quelle vision pourra-t-on conserver du « rideau de fer » dans les générations à venir ? Ceux qui avaient l’habitude de le franchir n’y voyaient guère qu’une routine, comme nous à Cheb, ou même ici, à Berlin, sans sortir du train d’où je n’avais même pas distingué précisément l’emplacement du mur dans les années 70.        

Le reste de la journée se passa en promenade à Prenzlauer Berg, au nord de Mitte. Il s’agit d’un quartier populaire, apte à éveiller quelques souvenirs anciens : de la présence juive à Berlin, avec deux synagogues et un cimetière juif ; de la guerre – presque toutes les façades de la Krausnickstrasse restent criblées d’éclats de balles, et certaines églises, comme Sainte Elisabeth, sont en ruine. Des bâtiments originaux comme le château d’eau situé au bout de Strassburgerstrasse sur une petite colline, de belles maisons 1900, ici et là, restaurées ou non, des places avec de petits jardins, comme Zionkirchplatz, avec l’église construite au centre, ou Arkonaplatz, en cours d’aménagement, où nous avons déjeuné, Kollwitzplatz, Senefeldplatz, à côté du cimetière juif, confèrent son charme à tout ce quartier d’apparence tranquille, à deux pas du centre de Mitte et de l’Alexanderplatz. Nous avons terminé la visite par un tour en tramway, écourté dans Mollstrasse par la collision sans gravité du tramway avec une voiture mal positionnée à un carrefour.

D’autres images, maintenant perdues, m’ont impressionné. Dans l’ensemble Berlin me paraît une ville plutôt calme, où l’on vaque tranquillement à ses occupations sans trop de hâte. Tous les chantiers s’activent, sans démonstrations excessives d’agitation, de bruit ou de poussière, comme à Paris. Les signes de richesse ne s’étalent pas ; la pauvreté non plus – peu de mendiants ou de clochards. Les différences – des punks ou de leurs descendants, par exemple -, s’affichent sans agressivité. Bien sûr ces remarques vont à l’encontre de ce qui se dit ou s’écrit tous les jours sur la tension entre les deux Allemagnes, la difficulté de reconstruire le pays, la crise économique, etc… Cependant, la ville me paraît moins violente que Paris, moins contrastée aussi.

Je ne sais si mon intuition sera vérifiée, mais il me semble que tout ce travail à accomplir, cette actuelle difficulté de vivre, telle qu’elle est décrite par les journalistes – sans doute bien réelle, mais plus compréhensible par le raisonnement que perceptible par la simple observation – devraient se résoudre petit à petit, par une lente activité, opiniâtre, peu spectaculaire, mais efficace.

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En villégiature à Potsdam toute la journée après un voyage tranquille par le S-Bahn depuis Friedrichstrasse, nous découvrons la ville, défigurée comme Berlin par des immeubles modernes du plus mauvais goût parmi les monuments anciens, alors que dans le centre subsistent quelques belles rues aux maisons baroques, comme Brandenburgstrasse. La Brandenburger Tor, que nous pouvions détailler en déjeunant de poisson, était couverte d’échafaudages. Le but de notre excursion était Sans Souci, le château que Frédéric II se fit construire pour échapper à Berlin. La visite de ce château rococo fut expédiée en une demi-heure par un jeune guide énergique, ce qui nous laissa tout le temps d’arpenter le vaste parc sous un froid soleil de février et de nous approcher des autres bâtiments : orangerie, Neues Palais, Chinesisches Teehaus…

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La vie nocturne à Berlin ne paraît pas très intense : peu de monde le soir dans les rues ou le métro, fréquentation modérée des restaurants. Même sur le Kurfürstendam, vers 22 heures, peu de noceurs déambulaient et le restaurant du Kranzler Café n’abritait que quelques rares convives au hasard des tables. Dans les auberges du Nikolaiviertel le soir, la clientèle à forte dominance masculine ne remplit pas non plus les salles.

Ce matin la neige tombait sans interruption sur Berlin, sans nous empêcher de poursuivre nos promenades, d’abord orientées vers l’Askanischerplatz, où Kafka lorsqu’il venait à Berlin avait l’habitude de descendre à l’hôtel Askanischer Hof. Aujourd’hui il s’agit d’une vaste place dont tous les bâtiments anciens ont été détruits et qui n’a pas retrouvé de physionomie bien définie. De là nous gagnâmes Oranienburgerstrasse en S-Bahn.  

Tout le restant de la matinée nous parcourûmes les rues du quartier du Scheunenviertel et de la Spandauer Vorstadt, à la recherche du vieux Berlin de misère, du monde juif, des mauvais garçons, de la prostitution… Aujourd’hui encore c’est un quartier populaire de l’ancien Berlin Est, comme en témoignait la clientèle de l’auberge où nous avons pris un café. C’était l’univers de Franz Biberkopf, le héros de Berlin Alexanderplatz, d’Alfred Döblin. Le contraste y est criant entre les rues dont subsistent les immeubles anciens, non démolis et non restaurés, aux façades souvent endommagées par des éclats d’obus ou de balles, les ensembles complètement ravalés et les immeubles neufs. C’est peut-être le quartier de Berlin où nous nous sommes le mieux sentis, à la fois pittoresque, vivant, imprévisible et chaleureux. La neige, de surcroît, y adoucissait les sons et les formes et embellissait les rues.

L’après-midi nous avons abondamment circulé dans les transports en plein air : S-Bahn, tramway, bus, pour nous retrouver à l’Alexanderplatz, presqu’à notre point de départ, et revenir à l’hôtel à pied, en passant par Unter den Linden qui bientôt, sans doute, redeviendra la plus belle artère de Berlin.

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