Avec Séraphîta, Balzac va encore plus loin dans l'expression du thème de l'ange. Son personnage au sexe variable, tantôt Séraphîta, tantôt Séraphîtüs, possède la connaissance sans avoir étudié, la séduction sans désir, tant vis-à-vis des femmes que des hommes, la lassitude des êtres détachés de tout intérêt au monde. Il s'agît d'un androgyne, chose naturelle pour un ange, perdu sur terre dans l'attente de son assomption vers le royaume de Dieu. Ce passage sur terre, caractérisé par l'ennui, lui confère un pouvoir érotique dont l'effet est immédiat sur ses deux admirateurs, Minna et Wilfrid, qui se disputent sur le sexe de l'ange et, après sa disparition, envisagent une union, dont la nature réelle n'est pas précisée.
La contradiction est apportée à la figure de l'ange mélancolique par le pasteur Becker, en proie au doute, qui tente avec une honnêteté et une bonne volonté touchantes, de détacher les deux amoureux, Minna et Wilfrid, de l'être surnaturel dont il ne reconnaît pas les qualités au départ, avant d'avouer son inspiration, lorsque l'ange eut exposé sa foi.
Dans ce roman, Balzac est le plus éloigné de sa qualité première de révélateur de la société française de son temps. Cette incursion dans le mysticisme et l'exotisme des fjords et des sommets norvégiens apparaît comme une concession au délire romantique d'inspiration religieuse. Il est possible d'y voir la part que Balzac attribua à ses rêves de jeunesse. Ce ne sont pourtant pas les seules expériences de plongée dans l'irrationnel dans son oeuvre : la Peau de chagrin s'inscrit aussi dans ce registre.
Dans le roman, c'est au pasteur Becker qu'il revient d'exposer l'histoire de Séraphîtüs-Séraphîta, ainsi que les théories de Swedenborg, qui sous-tendent le propos de Balzac, mais c'est l'ange qui effectue une mise au point dénonçant l'inanité de la science humaine.
Ce roman, dont l'action est quasiment inexistante, si l'on considère que l'assomption de Séraphîta est décrite comme un rêve partagé par Wilfrid et Minna, sans que la présence de l'ange soit attestée, constitue donc une discussion sur les thèses mystiques de l'Esprit séparé de la matière. Les romans, comme Louis Lambert et Séraphîta, que Balzac écrivit dans cette veine, servent de contrepoint au courant majeur de son oeuvre, de laquelle Proust déplorait le caractère vulgaire, toujours tendu vers la réussite sociale. Balzac parvient même à montrer les deux faces de ces tendances mystiques : le destin tragique de Louis Lambert, écrasé par ses désirs contradictoires, et l'indifférent apogée de Séraphîta.