Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 octobre 2012 7 21 /10 /octobre /2012 16:01

Dans son article Sainte-Beuve et Balzac, Proust attaque d’emblée sur la vulgarité des sentiments de Balzac. Il entend par là que Balzac « a donné pour but à la vie la satisfaction des plus basses ambitions » et note que cette orientation n’a pas seulement été le fil conducteur de toute l’œuvre de Balzac, mais a nourri ses sentiments dans sa vie la plus intime, notamment son amour pour Mme Hanska. Dans son œuvre, cette obsession touche jusqu’à Mme de Mortsauf, la femme idéale, à l’heure de sa mort, lorsqu’elle transmet ses dernières instructions à Félix de Vandenesse dans le Lys dans la Vallée.

Proust pointe aussi la vulgarité du langage de Balzac, la corruption de son vocabulaire, l’usage d’expressions triviales. Il est certain que Balzac n’est pas un styliste comme Proust. Il utilisait un langage courant, ponctué d’expressions familières, et il faut reconnaître qu’il a anticipé sur une large évolution de l’usage de la langue au XXème siècle par les romanciers : Céline, par exemple, n’était-il pas un grand styliste qui nourrissait ses romans de l’argot le plus inventif de son temps ?

Proust admet néanmoins que « cette vulgarité même est peut-être la cause de la force de certaines de ses peintures ». Il est assez fin pour discerner l’existence des mobiles vulgaires même chez ceux qui les condamnent le plus. Et la présence de cet arrivisme chez de nombreux personnages de Balzac à côté des plus purs amours qu’ils aient pu vivre est l’une des grandes forces du romancier de la Comédie Humaine. C’est précisément cette capacité de créer des personnages mus par différents désirs qui rend l’œuvre de Balzac aussi riche. Bien qu’il se laisse parfois emporter par des théories fumeuses – qu’elles soient inspirées par les thèses répandues à son époque par Swedenborg, Lavater ou autre – Balzac s’est bien gardé d’avoir une vision univoque de l’homme. Nous pouvons sourire lorsqu’il développe une théorie de la différence de caractère des femmes à taille plate et des femmes à taille ronde par exemple, mais ses excès mêmes contribuent à la diversité de son œuvre.

L’immense trouvaille de Balzac que salue Proust est la réapparition des personnages d’un roman à l’autre, créant ainsi un immense cycle lié par un fil continu. Il est probable d’ailleurs que Proust s’en soit inspiré dans la construction de la Recherche du temps perdu : au-delà de Marcel narrateur, la plupart des personnages de Proust réapparaissent d’un roman à l’autre, montrant différentes facettes de leur personnalité, dûment analysées par Proust. Ainsi peut-on trouver certaines similitudes entre les œuvres de ces deux romanciers aux tempéraments si différents. Ce qui les distingue le plus profondément, c’est l’existence des types : Proust reconnaît que ceux-ci sont particulièrement nombreux chez Balzac et que différents personnages ne sont que des exemplaires d’un même type. Proust a dû se garder de reproduire ce schéma et il s’est efforcé de montrer ses personnages dans toute leur complexité, marqués par les succès et les échecs, évoluant dans la durée en modifiant leur comportement, leurs intérêts et leur vision du monde. L’analyse psychologique est très fine chez Proust alors qu’elle est beaucoup plus rudimentaire chez Balzac. Cette plus grande simplicité de Balzac lui permet de montrer des contrastes radicaux entre les amoureux transis de la jeunesse et les froids ambitieux qu’ils sont devenus dans la maturité, n’ayant réduit leurs idylles de jeunesse qu’au « sourire de ceux qui ont vraiment oublié» et envisageant les liens à venir sous le sceau de l’ascension sociale.

Balzac, en procédant de cette façon fait retomber le lecteur dans la réalité bien terre à terre qui l’entoure, ce qui procure souvent à celui-ci une grande satisfaction de voir son univers familier décrit dans un roman par un romancier illustre, avec toutes les exagérations propres à lui donner le sentiment de son importance.

Proust comprit cette leçon et poussa le procédé à un stade très avancé en montrant certains de ses personnages passer au fil des années à des positions qu’ils condamnaient de façon radicale dans leur jeunesse, sans que ces transformations paraissent caricaturales, du fait de l’évolution progressive induite par l’Histoire à l’ensemble de la société.

 

A lire aussi :

Albertine disparue – Marcel Proust

Séraphîta

Louis Lambert - Honoré de Balzac

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
<br /> Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.9 - THÉORÈME OSÉE. - La fin d'un civilisation.<br />
Répondre
I
<br /> <br /> Il fallait oser. Merci.<br /> <br /> <br /> <br />